Marc Bertrand nous a quittés

Christine Planté*

Marc Bertrand nous a quittés le 18 octobre 2019, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept-ans. Il était l’un des plus grands spécialistes de Marceline Desbordes-Valmore et son fervent éditeur, membre du comité d’honneur de notre association1.

Agrégé de grammaire, Marc Bertrand avait enseigné en lycée jusqu’en 1968, puis à l’université Stendhal Grenoble III où il est devenu professeur de stylistique, jusqu’en 1985. L’essentiel de ses travaux et de sa carrière a été consacré à Marceline Desbordes-Valmore, notamment à l’édition de ses œuvres en vers et en prose menée avec une ténacité dont nous devons tous lui savoir gré. Nous lisons en effet aujourd’hui Marceline Desbordes-Valmore dans les éditions qu’il a procurées.

Comme il aimait lui-même à le rappeler, c’était sur l’incitation de son directeur de thèse, Yves Le Hir, que Marc Bertrand s’était intéressé à Marceline Desbordes-Valmore. Il préparait alors une thèse sur ses Techniques de versification2. Ce fut le point de départ d’une véritable rencontre qui allait marquer le reste de sa vie. Cette thèse soutenue à Grenoble en 1977 fut prolongée par divers articles et une étude sur Louis Aragon et Marceline Desbordes-Valmore3, signée en 1997 avec Geneviève Torlay.

Mais les lecteurs de la poète connaissent sans doute avant tout son édition des Œuvres poétiques4 aux Presses universitaires de Grenoble, publiée dès 1973 en deux volumes. Avec son établissement des variantes et sa copieuse annotation, elle livrait une synthèse des savoirs stylistiques, historiques et biographiques alors disponibles. L’ouvrage est vite devenu un précieux outil de travail pour les chercheurs, et demeure par sa richesse, même si l’état des connaissances a évolué depuis, une référence indispensable. En 2007, cet ouvrage étant épuisé, Marc Bertrand a fait paraître chez l’éditeur lyonnais Jacques André une nouvelle édition de l’Œuvre poétique5 augmentée d’une quinzaine de textes inédits et précédée d’un « Avant-propos » intégrant l’apport de recherches plus récentes6, en un volume sans notes.

Venu à Desbordes-Valmore par son œuvre en vers, Marc Bertrand a plus tard étendu son intérêt et son activité éditoriale à sa prose (contes, nouvelles et romans). Il a publié aux Presses Universitaires de Lyon les Contes, en 1989 (aujourd’hui indisponibles) ; chez Droz Les Petits Flamands (1991), Domenica (1992), et Huit femmes (1999) ; écrit une postface à son roman de 1833 L’Atelier d’un peintre, republié par Georges Dottin chez Miroirs éditions, en 1992 (indisponible).

Soucieux de faire connaître Marceline Desbordes-Valmore à tous les publics, il a également fait paraître plusieurs présentations et choix de textes : une anthologie chez HB éditions7 en 2001, récemment republiée chez Jacques André ; l’étude Une femme à l’écoute de son temps8, sur le rapport de la poète à son époque, illustrée de textes et extraits, en 2009 ; enfin, en 2012, le court essai Je suis… Marceline Desbordes-Valmore9.

Si le titre de ce dernier ouvrage est d’abord celui de la collection dans laquelle il a paru, il convient aussi parfaitement pour suggérer l’identification de plus en plus forte du critique à la poète. En Marceline Desbordes-Valmore, Marc Bertrand se reconnaissait profondément : pour la conception d’une poésie parlant à tous et pour tous ; pour les valeurs humanistes et de justice sociale qu’il aimait saluer dans son œuvre ; pour son lien aussi avec la ville de Lyon, où elle avait vécu à trois reprises, – même s’il ne partageait pas la sévérité de la poète à l’égard de cette ville.

Porté vers Marceline Desbordes-Valmore par la force et l’émotion de vers qui, trouvant à dire les peines et les pertes, aident à vivre, il n’a cessé de vouloir faire largement partager le souffle et le sens qu’il y trouvait.

Avec lui nous perdons un éminent spécialiste, et un homme généreux et profondément humain dont l’association gardera vivant le souvenir.

*Christine Planté est professeure émérite de littérature française à l’université de Lyon 2 et présidente de la SEMDV. Elle a publié L’Aurore en fuite, poèmes de Marceline Desbordes-Valmore choisis, préfacés et annotés, « Points », 2010 ; Femmes poètes du XIXe siècle. Une anthologie, Presses Universitaires de Lyon, 2010 (2e éd.)

1 Il avait accepté d’être membre de notre comité d’honneur, après avoir été le président d’honneur de l’association Marceline, fondée par Jean-Luc Dejoie auquel il était très attaché.

2 Marc Bertrand, Les Techniques de versification de Marceline Desbordes-Valmore, Service de reproduction des thèses, Université de Lille III, 1981, 527 p.

3 Marc Bertrand et Geneviève Torlay, Louis Aragon et Marceline Desbordes-Valmore, Essai de prosodie comparée, préface de Jean Mazaleyrat, Paris, Publications M.B. et G.T., 1997, 304 p.

4 Œuvres poétiques de Marceline Desbordes-Valmore, édition complète établie et commentée par Marc Bertrand, Presses universitaires de Grenoble, 1973, 840 p. en 2 volumes.

5 Marceline Desbordes-Valmore, Œuvre poétique. Textes poétiques publiés et inédits rassemblés & révisés par Marc Bertrand, Jacques André éditeur, Lyon, 2007, avec le concours de la ville de Douai, 522 p.

6 La connaissance de la biographie notamment s’est trouvée considérablement modifiée par la publication du Siècle des Valmore par Francis Ambrière aux éditions du Seuil, en 1987 (2 vol.).

7 Marceline Desbordes-Valmore, Textes choisis et présentés par Marc Bertrand, préface par Yves Le Hir, HB éditions, « Arrêts sur lectures », Nîmes, 2002, 264 p.

Une nouvelle édition de ce livre a paru sous le titre La Liberté sans effroi. [Re]lire Marceline Desbordes-Valmore chez Jacques André, en 2018.

8 Marc Bertrand, Une femme à l’écoute de son temps. Marceline Desbordes-Valmore, Jacques André éditeur, Lyon, 2009, 142 p.

9 Marc Bertrand, Je suis… Marceline Desbordes-Valmore, préface de Gérard Collomb, Jacques André éditeur, collection dirigée par Jean-Paul Chich, Lyon, 2012, 78 p.